LA RENAISSANCE
Une nouvelle conception de l'Homme et du Monde, une plus grande diffusion de toutes les connaissances humaines, en particulier de l'héritage antique favorisée par la découverte de l'imprimerie, l'arrivée en Europe d'artistes et de savants fuyant l'empire byzantin lors de la prise de Constantinople par Mahomet II en 1453, l'apparition de nouvelles techniques favorisant la navigation, les grandes découvertes, c'est le début de la Renaissance, époque d'effervescence intellectuelle et artistique. C'est l'essor artistique du Quattrocento italien.
L'Art médical suit le mouvement. La santé de l'homme est l'objet de controverses passionnées. Paracelse, Michel Servet, Fracastor, Cesalpino, Vésale, Harvey, Ambroise Paré apportent leur contribution enthousiaste.
A la suite de la découverte de l'imprimerie, la diffusion des connaissances progresse. Les ouvrages médicaux ne font pas exception.
Paraissent: le Clavis Sanationis, le plus ancien répertoire imprimé de noms de plantes publié à Padoue en 1473 par Simon de Gênes, le Nuovo Receptario, la première pharmacopée officielle parue à Florence en 1498, l'oeuvre de Dioscoride, commentée par Mathiole de Sienne (1544), l'Hortus Sanitatis de Joannes de Cuba.
La curiosité de l'homme à l'égard de la nature, curiosité observée dans toutes les cultures et à toutes les époques, a toujours été conditionnée non seulement par le niveau de connaissances mais aussi par les croyances religieuses et les idées philosophiques.
Dissection, Barthélemy l'Anglais, Des propriétés des choses, B.N.F.
En anatomie, Galien a fait la somme des connaissances antiques et les a enrichies de ses propres recherches. La synthèse de Galien subsistera pendant tout le Moyen Age, du fait des réticences des cultures chrétienne et musulmane vis à vis des autopsies. Aussi, les progrès en anatomie ont toujours été auréolés de scandale. Michel Servet, bravant les interdits, découvre la circulation pulmonaire. Physiologiste et théologien novateur, il dérange et considéré comme hérétique par Calvin, il est jugé et condamné au bûcher.
L'âge d'Or de Padoue
La pratique de la dissection, longtemps interdite par l'église, donne l'impulsion nécessaire à une redécouverte de l'Anatomie. A Padoue, l'anatomie rentre dans l'âge de raison.
Palazzo del Bo, Padoue, gravure XVII° siècle.
En 1543, paraissent deux ouvrages qui vont marquer un tournant capital dans leurs disciplines respectives, l'Anatomie et l'Astronomie.
Le 1er décembre 1537, André Vésale, venant de Bruxelles où il est né, arrive à Padoue où aussitôt nommé professeur de Chirurgie, il pratique la première autopsie. En 1543, il publie à Bâle un traité superbement illustré par un élève de Titien qui marque la rupture avec l'anatomie de Galien et Hippocrate, le "De humani corporis fabrica".
De humani corporis fabrica
En 1543, année de la mort de Copernic , parait son ouvrage, le "De Revolutionibus Orbium Coelestium Libri", dédié au Pape Paul III. Il faudra attendre 1632, pour que Galilée défie à son tour les théories officielles avec la publication de "Quatre dialogues sur les systèmes du monde de Ptolémée et Copernic" qui déstabilisera le monde de l'époque..
Padoue, 1584, c'est l'inauguration du théâtre anatomique du Bo par Fabrice d'Acquapendente. C'est la dissection magistrale. C'est le spectacle. En contrebas, le cadavre est allongé sur une table escamotable, prêt à disparaître dans le sous-sol, si les gens de l'inquisition surgissent à l'improviste. Deux chandeliers éclairent la scène. Dans les gradins, les élèves nombreux contemplent la démonstration. La forme ellipsoïdale de l'amphithéâtre doit beaucoup aux recherches d'Acquapendente et du théologien Fra Paolo Sarpi sur l'optique et l'anatomie de l'oeil.
Théâtre anatomique de Padoue.
L'université de Padoue, créée en 1222, a trouvé son plein essor à partir de 1405, la souveraineté vénitienne sur Padoue s'exerçant depuis cette époque-là. Avec la puissance de Venise - politique, commerciale, artistique et scientifique - croît le rayonnement de l'université de Padoue.
La République Sérénissime comprenant le prestige que l'université de Padoue pouvait lui conférer fait oeuvre de générosité vis à vis d'elle, fait appel aux meilleurs maîtres et favorise la venue des étudiants. A cette époque, Padoue et Paris deviennent deux des principales étapes de la pérégrination estudiantine. L'école de Padoue se veut novatrice, en anatomie par les dissections, avec Vésale, Benedetti, Fabrice d'Acquapendente, Colombo, Fallope, Harvey. Dès lors, la Chirurgie peut faire un grand pas.
Les oeuvres des deux plus grands chirurgiens du XVI° siècle, le Vénitien Giovanni Andrea dalla Croce et le père de la chirurgie française, Ambroise Paré le prouvent. Ce dernier commence sa carrière comme apprenti-barbier. Devenu barbier-chirurgien en 1536, il exerce ses fonctions auprès d'Henri II, de François II, de Charles IX et d'Henri III. Il innove en préconisant la ligature des artères, destinée à remplacer leur cautérisation lors des amputations. Sa forte personnalité, ses hautes fonctions, son oeuvre rédigée en français lui assurent une grande autorité et lui permettent de s'imposer auprès des médecins parisiens très conservateurs. Avec lui, la Chirurgie va faire des progrès décisifs.
Chirurgien de grand talent, lucide et modeste, parlant de ses malades rétablis, il aime à répéter: "Je le pansay...Dieu le guerist."
Homme de foi et généreux, à Charles X qui lui demande "J'espère que tu me soigneras mieux que les pauvres.", Ambroise Paré répond: "Non, Sire, car je les soigne comme des rois."
Ses oeuvres: "Méthode de traicter les playes faites par les arquebuses; Méthode curative des plaies et fractures de la tête; Les livres de Chirurgie".
A Padoue, en 1543, Giovanni Battista da Monte crée la première école clinique en dispensant ses cours au chevet des malades, bouleversant ainsi l'enseignement livresque classique. En 1545, est fondé par Francesco Bonafede et sur un plan d'Andrea Moroni, le premier Jardin des simples où Prospero Alpino enseignera.
A la fin du siècle, Galilée enseigne les mathématiques, Fabrice d'Acquapendente l'anatomie, Harvey obtient son doctorat. En 1628, à Cambridge, il publiera ses conclusions révolutionnaires dans "Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis". Quatre ans après, en 1632, Galilée publiera "Quatre dialogues sur les systèmes du monde de Ptolémée et Copernic".
L'Alchimie :
L'Alchimie triomphe à la Renaissance. Elle avait pris naissance au Moyen Orient. Son fondateur serait, dit-on, Thot, roi de Thèbes, fils d'Osiris. Elle s'était enrichie, par la suite, de pratiques magiques, cabalistiques et hermétiques. C'est la chimie, la science par excellence, celle qui contient les principes de toutes les autres. Son but ? La découverte et la conservation d'un principe mystérieux qui permet de prolonger indéfiniment la vie en assurant la progression des êtres vers l'état supérieur. Il est liquide ou solide. Liquide, c'est l'élixir de longue vie ou panacée, remède de toutes les maladies. Solide, c'est la pierre philosophale qui, introduite à un certain moment dans la masse d'un métal en fusion, assure son évolution rapide vers l'état souhaité, or ou argent.
Laboratoire alchimique, peinture de Johannesz Stradanus, 1570.
Grâce aux alchimistes, l'expérimentation se développe, un appareillage nouveau apparaît:: alambics, cucurbites, fours, bain-marie. L'Alchimie permet la découverte du phosphore, de l'antimoine, de l'acide sulfurique.
Génie, contestation, intolérance à parties égales : Paracelse
Le plus célèbre des alchimistes est Théophrastus Bombastus von Hohenheim, né en 1493 à Einsiedeln, mort en 1541 à Salzbourg, plus connu sous le nom de Paracelse. Ce surnom vient du fait qu'il utilisait souvent le préfixe para dans le titre de ses traités pour indiquer la supériorité de son savoir. Animé d'une soif de connaissance inextinguible, il se consacre aux sciences sacrées et profanes, aux connaissances empiriques et ésotériques, au savoir théorique et pratique qu'il puise aux sources les plus variées. "En tous les coins et les lieux, j'ai questionné avec zèle et assiduité, fait des recherches sur des arts sûrs et éprouvés de la médecine. Et pas seulement auprès des docteurs, mais aussi des barbiers, baigneurs, savants, médecins, femmes, nécromanciens, auprès des alchimistes, dans les couvents, auprès des nobles et des vilains, des bons esprits et des simples."
Portrait présumé de Paracelse
Oeuvre de Quentin Metsys (1456-1530)
musée du Louvre, Paris
Réformateur exalté, il s'adresse ainsi aux médecins: "Vous qui, après avoir étudié Hippocrate, Galien et Avicenne, croyez tout savoir, vous ne savez encore rien; vous voulez prescrire des médicaments, et vous ignorez l'art de les préparer! La Chimie vous donne la solution de tous les problèmes de la physiologie, de la pathologie et de la thérapeutique; en dehors de la Chimie, vous tâtonnez dans les ténèbres."
Il scandalise son époque en brûlant publiquement les écrits des Scolastiques, des Arabes, ainsi que les ouvrages de Galien, critiquant sa théorie des quatre humeurs. Il est un partisan de la théorie cnidienne selon laquelle les processus du corps humain sont chimiques et peuvent être corrigés quand ils sont dérangés par réajustement chimique à l'aide de spécifiques: sublimé, nitrate d'argent, acétate de plomb...
Selon Paracelse, le médecin doit discerner les Entia ou causes lointaines et premières de la maladie. L'ens astranum modifie l'atmosphère terrestre. L'ens veneni est constitué par la nourriture. L'ens spirituale correspond aux pensées qui exercent sur l'homme une influence bénéfique ou néfaste. La volonté de Dieu intervient également. C'est l'ens Dei. Dieu dispose de la santé, de la maladie et de la mort des humains. Les causes immédiates de la maladie sont les substances alchimiques qui composent le corps: le mercure (l'air, principe volatil), le sel (la terre, principe incombustible) et le soufre. La maladie est causée par le déséquilibre de ces trois éléments ou par la prédominance se l'un d'entre eux. Si c'est le mercure, l'apoplexie menace; si c'est le sel, c'est l'eczéma, l'impétigo, la lèpre, le cancer, les ulcères, les oedèmes; si c'est soufre, le coeur risque d'entrer en fusion.
La maladie ne peut être combattue qu'à l'aide de remèdes chimiques contenant les mêmes principes. Ceux-ci font partie de produits naturels à partir desquels sont extraites les "quintessences" dont les "arcanes" (préparations secrètes) sont efficaces en thérapeutique. Selon Paracelse, la plante, le minéral tels quels sont inefficaces. Par distillation, le principe actif en est extrait. C'est le cas de l'Eau-de-vie, "principe actif" du vin que Paracelse dénomme "alcool", mot emprunté à l'arabe (al cool: le plus délicat). Les plantes traitées à l'alcool donnent des teintures, essences et extraits beaucoup plus efficaces
L'alchimie laisse dans le domaine des sciences et de la thérapeutique des découvertes. Certaines ne seront utilisées qu'au Grand Siècle.
Maladies et thérapeutiques de l'Amérique précolombienne
La découverte du Nouveau Monde entraîne celle de drogues végétales nouvelles: Quinquina, Ipéca, Gaïac, Tabac, Coca, Salsepareille. Sont utilisés comme antihémorragiques la boue d'argile, des astringents riches en acide tannique, la racine de Ratanhia, comme diurétiques, le Genièvre, la Salsepareille; comme stimulants, Coca, Maté, Cacao; comme anti-diarrhéiques, le Ratanhia, l'Ipécacuanha. La racine de cette dernière plante est spécifique de la dysenterie amibienne. Elle est également utilisée pour ses propriétés émétisantes, expectorantes. De cette racine que l'explorateur médecin Le Gras fera connaître en Europe, Pelletier et Caventou isoleront en 1820, l'émétine. Sont utilisés comme analgésiques et narcotiques des Solanacées: Datura, Mandragore, comme sédatifs, la Valériane. Pour entrer en transe hallucinatoire, les Indiens consomment une cactée, le "Peyotl". Une place importante est réservée aux drogues fébrifuges: écorce et feuilles de saule, "kina-kina", l'écorce des écorces qui deviendra le quinquina. Des ouvrages divulguent en Europe les connaissances amérindiennes, tels ceux du Père Cobo, du Franciscain Bernardino de Sahagùn, de Francisco Hernandez. Un aperçu de la matière médicale inca est contenu par exemple dans le Codex Badianus qui donne la description et le mode d'emploi de 251 plantes
Codex Badianus, Librairie apostolique du Vatican.
Mais ces découvertes ne se font pas sans mal. Les longues traversées maritimes font réapparaître le scorbut qui ravage les équipages de Vasco de Gama, Magellan, Cartier, Colomb. De part et d'autre des océans, des germes inconnus des populations sans aucune protection héréditaire, créant de nouvelles conditions immunologiques, produisent des épidémies. Ainsi, le Nouveau Monde fait connaissance avec la variole, la rougeole, la grippe. Entre 1520 et 1558, ces trois maladies tuent les 9/10° de la population du Mexique. L'Ancien Monde hérite de la "Grosse Vérolle" que l'on signale pour la première fois à Naples en 1495. C'est "le Sida" du XVI° siècle. Pour les malades atteints du mal, des hôpitaux sont créés. Le premier à Bologne en 1496. pour les "francisés". Cette maladie a été importée en Italie par les Espagnols et disséminée par les troupes françaises. Chaque peuple accuse son voisin de propager la maladie. C'est le mal français pour les espagnols, le mal napolitain pour les troupes françaises. C'est le mal redoutable à la mode pour le peuple et pour les Grands, François 1er et son adversaire Charles Quint..
Le médecin humaniste italien Girolamo Fracastoro doit surtout sa renommée à son poème en hexamètres latins: "Syphilis sive de morbo gallico" où il traite de l'origine et du traitement de la syphilis, nom dérivant de celui du premier malade, le jeune berger Syphilus.
La Salsepareille, le bois de Gaïac qui viennent du Nouveau Monde sont préconisés. Mais ce sont surtout les préparations mercurielles qui vont être utilisées avec une certaine efficacité mais pas sans risque: onguent napolitain, pilules au mercure dites de Barberousse. Ce dernier, sultan d'Alger, avait proposé ses pilules mercurielles à son allié François1er en guerre contre Charles Quint.
La Renaissance en médecine peut être considérée comme une restauration, les médecins croyant toujours aux humeurs et aux effets des astres. Ceci se perpétuera au XVII° siècle. La Renaissance en médecine est pour l'essentiel anatomique et prolonge la Renaissance artistique qui la précéda d'un siècle. Artistes et anatomistes prirent part à la découverte du corps humain. Léonard de Vinci fut l'un et l'autre. La Renaissance s'achève en médecine en 1628, l'année où l'oeuvre d'Harvey parait. Après sa démonstration de la Circulation du sang, la doctrine hippocrato-galénique aurait dû s'effondrer mais elle avait la vie dure et la querelle sur la circulation du sang dura quelques cinquante ans. Dès lors, une autre médecine pouvait voir le jour mais il faudra attendre encore deux siècles, la médecine moderne débutant au début du XIX° siècle.
Rédaction: J.C.D.
Iconographie: J.L.D.
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